Blackout day | feat Amélie

Qui ne s'est jamais dit, un lendemain de cuite "j'arrête l'alcool". Inutile de nier, ça nous est tous arrivé au moins une fois. C'est la même rengaine avec le paquet de chips ouvert qui nous nargue, avec tout ce gras, tout ce sel et ce croustillant au son extatique. Juste une seule, qu'on se promet. La minute suivante on en a tellement plein la bouche qu'on entend notre cellulite jubiler et nos cuisses chouiner. Ce matin-là, à mon réveil, j'ai compris que ma promesse faite à moi-même le mois dernier venait de finir dans le fond d'une cuvette à chiotte. Charmant, n'est-ce pas? Ouvrir les yeux s'apparentait aux douze travaux d'Hercule, compliqué, douloureux. Mon crâne est malmené. Pris dans un étau, il me rappelle combien j'ai abusé sur le rhum-coca.

Les yeux enfin ouvert, j'ai constaté qu'un soleil resplendissant inondait la chambre. Une journée merveilleuse pour se réveiller et éprouver la sensation désagréable d'avoir un rat mort dans la bouche. Je m'apprêtais à me rendormir lorsqu'un détail me frappa. Pas des moindres, le détail. Ces rideaux... ne m’appartenaient pas. Ce lit non plus. Putain de merde. Je n'étais pas chez-moi. Impossible de me souvenir quoi que ce soit. Un gros blackout des familles. Emportée par la panique, je balança la couette sur le côté pour quitter fissa ce lit de débauché. Pour finalement m'emmêler les pieds et m'étaler sur le sol.

- Aïe, que je marmonna, ma joue contre le sol.

Finalement, le sol, ce n'était pas si mal. Le temps de me remettre de mes émotions.

Je me jurais, sur la tête de Gros-Cul, de ne plus jamais boire une goutte d'alcool. Une abstinence totale pour les neuf prochaines années de ma vie. Neuf années parce qu'il ne fallait pas déconner... le jour de mes trente ans je voulais pouvoir me murger pour oublier que je ne serais plus de toute fraîcheur. En attendant, je me promettais de tourner à l'eau et au coca. Bon les promesses des lendemains de cuites sont plus éphémères que celles qu'on se donnent pour la nouvelle année. Je le savais. Je continuais quand même à me le répéter en boucle comme si ça pouvait atténuer mon mal être. Faux. Archi faux. Mon estomac menaçait toujours d'expulser son contenu sur le sol.

En parlant du sol, je voyais une tête brune se déplacer à quatre pattes vers moi. Bon. Je n'étais pas toute seule à cuver. Et maintenant, je savais à qui appartenait ce parquet fort confortable pour un plancher. En guise de bonjour je lâcha un grognement. Le genre de grognements qu'utilisaient les zombies de Warm Bodies pour communiquer entre eux. Pas très glorieux, je suis d'accord. Avec un effort franchement surhumain, je me retourna sur le dos pour contempler le plafond.

- C'est sympa chez-toi.

Ma voix déjà grave de nature était complètement éraillée. Et sinon, comment pouvais-je lui demander son prénom sans la vexer? J'avais bon fouiner dans les méandres de ma mémoire, je pataugeais dans le flou total. Je passais ma langue sur mes lèvres. J'avais soif, d'un coup. Et faim. Tout en sachant pertinemment que je ne pourrais rien ingérer sans le régurgiter la minute d'après.  

- Même ton parquet est confo.

Ou alors j'étais trop habituée à dormir sur des sols durs. Possible aussi. J'ai appris à trouver un lit constitué de cartons confortable. Merci la famille.

La lecture des pensées de la jeune femme permet à Amélie de ne pas s’endormir au sol. Les pensées de la prénommée Raegan sont très nombreuses, Amélie a l’impression qu’elles fusent dans tous les sens. L’une d’elles attire son attention et la fait ricaner bêtement.
- Gros-Cul.
Malheureusement, le ricanement secoue son estomac. Nauséeuse, elle arrête de ricaner et lutte contre l’envie de vomir. Au fur et à mesure que la nausée lui devienne plus supportable, elle essaie de ne plus penser au Gros-Cul auquel Raegan pense tout le temps. Elle ne sait pas ce que c’est mais Raegan doit lui apporter beaucoup d’importance pour qu’elle jure sur sa tête de… elle ne sait plus, en fait.
Amélie a aussi appris que Raegan pense être chez la télépathe… et qu’elle lui a parlé. Visiblement, elle ne s’en sort plus avec ses pouvoirs. D’habitude, Amélie peut lire dans les pensées d’une personne et converser avec elle en même temps, là elle n’y arrive plus. Elle arrête sa lecture des pensées. Allongée sur le ventre, elle fait un effort surhumain pour se mettre sur un côté, face à Raegan, et tente de régler ce malentendu :
- C’est pas chez moi.
Encore fatiguée, elle finit par se mettre sur le dos, les yeux vides fixant le plafond.
- J’veux dormir…

Gros-Cul me manquait à ce moment précis de la matinée. Il était synonyme de réconfort. L'avoir dans mes bras, c'était la certitude que rien de grave pouvait m'arriver. Depuis toute petite, il jouait le rôle de gardien, de doudou, de protecteur. Puis comme je l’emmenait souvent chez Axel, il finissait par avoir son odeur.

- C’est pas chez moi.
- Cool.

Je répondis machinalement, prête à succomber au sommeil. Sombrer dans l'inconscience était pour moi la seule façon d'oublier l'état pitoyable dans lequel j'étais. Sombrer dans l'inconscience était pour moi la seule façon d'oublier pourquoi j'étais dans un état aussi lamentable. Alors je fermais les yeux, prête à me laisser aller.

- J’veux dormir…
- Moi aussi.

Un murmure à peine audible. Je me sentais partir dans les méandres du sommeil lorsqu'un détail s'imprima au fer rouge dans mon esprit. Une fulgurance si violente que j'en ouvris subitement les yeux et me roula sur le ventre pour regarder la jeune fille. Mes grands yeux chocolats rivés sur elle, la bouche résolument fermée pour ne pas vomir, j'assimilais ce qu'elle venait de me dire. J'attendis une poignée de secondes pour lui parler, sans ça, je me serais sûrement mise à gerber partout sur le sol.

- Comment ça... ce n'est pas chez-toi?

Comme pour répondre à ma question, du bruit se fit entendre à l'entrée de... de quoi au juste? Un appartement? Un pavillon? Je n'en avais pas la moindre idée à ce moment-là. La seule certitude que je savais, c'est qu'au vu de l'agitation en bas, ça puait les emmerdes pour nous deux.

- Je crois qu'il est temps pour nous de partir, que je chuchote.

Alors qu’Amélie commence à fermer les yeux, Raegan lui demande :

- Comment ça... ce n'est pas chez-toi?

Le bruit qu’elles entendent ensuite réveille totalement Amélie. Elles sont dans la merde…

- Je crois qu'il est temps pour nous de partir, lui chuchote Raegan.

Le vomi remonte encore jusqu’à la gorge d’Amélie, au point de devoir prendre quelques secondes pour lui murmurer :

- Deux secondes

Le plus rapidement possible, la demi-sirène se met à quatre pattes, revient là où elle était quelques minutes plus tôt et essuie les traces de bave avec sa manche. Elle s'approche du mur et s'y aide du mieux qu'elle peut pour se relever, mais elle se sent dans un bateau que des vagues font tanguer. A côté d’elle, il y a une fenêtre, qui la fait retrouver un vague souvenir. Elles étaient devant une fenêtre et… Raegan en crochetait la serrure ? Intriguée, Amélie se tourne vers Raegan et lui reparle :

- Tu sais croche…

Sentant de nouveau le vomi remonter, elle ferme immédiatement la bouche et essaie de se retenir.

Deux secondes... oui je veux bien attendre deux secondes mais on ne les a pas vraiment. En bas, ça continue de s'agiter et ce n'est, justement, qu'une question de secondes avant que les vrais propriétaires ne montent à l'étage. Je me redresse sur mon séant. Wow... je vais vomir. Non. Non. Non. Je prend appuie sur le matelas afin de me redresser. Je vous jure que j'arrête de picoler... promis.

- Tu sais croche…

La pauvre, elle est autant dans le mal que moi et se retrouve incapable de finir sa phrase. C'est un miracle si on parvient à sortir sans transformer la chambre en vomitarium. Concernant notre porte de sortie... je ne sais pas si la demoiselle va apprécier mais de toute façon, on a pas trop le choix. Je foule la distance qui me sépare de la fenêtre et regarde dehors. Mauvaise nouvelle, nous ne sommes pas au rez-de-chaussé. Bonne nouvelle, nous ne sommes qu'au premier étage.

- J'ai une idée. Suis-moi.

Quelques petits mètres en face de nous, un arbre, avec sa grosse branche qui nous nargue. Je passe une première jambe à travers le rebord de la fenêtre, puis la seconde. Sous mes pieds, la toiture en pente tangue. Je vous jure qu'elle tangue... Je me laisse glisser sur les fesses, jusqu'à ce que j'arrive au bord de la toiture. L'arbre ne me paraît pas si loin mais je doute de ma capacité à évaluer les distances, vu mon état. Tant pis. Je me redresse et grâce à l'impulsion que je prends sur mes pieds, je saute en direction de la branche. Les bras tendus, je fais un véritable saut de l'ange. Le plus beau, dans tout ça, c'est que mes mains agrippent la branche. Je suis donc suspendue, à bout de bras. D'ordinaire je n'ai aucune difficulté à effectuer des tractions mais là... pfff... C'est tellement au-dessus de mes forces que je me laisse simplement tomber pour atterrir sur... un tas d'ordures? Oh beurk! Oh beurk! Je tente de me dépêtrer des encombrants. Puis qu'est-ce que ça fout là, sérieux?

Son interlocutrice regarde par la fenêtre puis lui demande de la suivre. Sans rien dire, Amélie se met derrière l’autre brune. Elle passe juste ses jambes à travers le rebord de la fenêtre ? Peut-être que ça débouche sur le toit. Amélie espère être au premier étage. Lorsque cette dernière finit de franchir la fenêtre, le soleil éblouit les yeux d’Amélie… Courage… En essayant de ne pas trop regarder le soleil, la libraire sort à son tour.
Oui… C’est bien un toit. Un toit en pente, et ça tangue. C’est encore pire quand c’est en pente. Elle tombe sur les fesses et glisse jusqu’au rebord de la toiture. Amélie cache ses yeux du soleil et regarde où se trouve la jeune femme. Cette dernière s’est accrochée à une grosse branche d’arbre. Amélie comprend ce qu’elle doit faire. Après s’être levée, elle tente de faire son meilleur saut de l’ange… mais elle n’atteint pas la branche d’arbre.
Lors de sa chute, Amélie hurle de peur. Par chance, ses fesses atterrissent sur quelque chose, un peu en hauteur, semble-t-il. Lentement, l’hybride en descend et se retourne pour voir sur quoi elle a atterri. Une benne à ordures…
Le dégoût achève de sortir de sa bouche tout le contenu de son estomac. Elle a l’impression de vomir ses tripes pendant des heures. Ça la dégoûte encore plus mais elle ne peut plus se retenir. Quand elle s’arrête enfin, elle se sent détendue. Entre-temps, sa peut-être nouvelle copine a atterri à son tour sur la benne. Comment elle s’appelle ? Il lui semblait qu’elle le savait il y a quelques minutes. La mémoire d’Amélie est une passoire, à moins que ce soit son cerveau entier.
- Comment tu t’appelles ?

Raegan… La libraire essaie de se l’imprimer dans l’esprit.

- Amélie, lui répond-elle.

Rapidement, la jeune femme tire Amélie avec elle, pour s’éloigner de la maison, afin de ne pas se faire arrêter par les flics. Puis la brunette lui demande si elle peut rentrer chez elle ou si elle préfère être raccompagnée.

- J’préfère être raccompagnée.

L’hybride ne se sent pas très bien, elle pourrait s’endormir n’importe où. Et vu ses capacités cérébrales, elle risque de se perdre même avec le GPS de son téléphone. Cette pensée la fait prendre son téléphone, saisir son code PIN, activer sa localisation et son application de GPS. Après ça, elle passe son portable à son accompagnatrice :

- Voilà l’itinéraire.

Elle fait plus confiance à son interlocutrice qu’à elle-même pour bien suivre l’itinéraire. Après tout, c’est elle qui les a sorties du pétrin. Si Amélie était toute seule, elle serait probablement restée allongée au sol puis mise en garde à vue.

- Tu peux dormir chez moi.

Et vomir, aussi. Pour la brune, il n’y a pas besoin de le préciser. Elle prend le bras de sa nouvelle connaissance et elles commencent leur route.

La raccompagner... okay. C'est dans mes cordes. Je crois. On est où? Et elle, elle vit où,  d'abord? Mon cerveau a du mal à se mettre en route, c'est difficile et mon envie de vomir occupe l'entièreté de mes pensées. Ne pas céder. Ne pas céder... J'inspire. J'expire. Lentement. Je vais y arriver. Je vais tenir. Je pense. J'espère. La demoiselle extirpe son téléphone et tape une adresse sur son GPS. Je pense savoir ce qu'elle entreprend et c'est une excellente idée.

- Voilà l’itinéraire.
- Cool.

Mes yeux se plissent alors que j'attrape le cellulaire. Plusieurs secondes me sont nécessaire pour arrêter de voir flou. D'avoir à me concentrer de la sorte, ça amplifie mon mal de crâne. J'ai l'impression qu'on a coincé mon crâne dans un étau et qu'on le serre de plus en plus, dans le simple but de voir ma cervelle exploser par mes orbites.

- Tu peux dormir chez moi.
- Cool.

Quoi? Au moins je suis capable de prononcer des mots, même si c'est le même. Je ne suis pas en état de mener la conversation ou de prononcer autre chose que des monosyllabe. Personne n'est infaillible! Amélia... Amélie... Zut. Je ne m'en souviens déjà plus. Amétruc m'attrape le bras et à l'aide de son cellulaire, je nous guide jusque chez-elle. Le trajet est horriblement long, trop long pour nos corps déjà mis à rude épreuve par l'alcool.

Lorsqu'enfin nous arrivons à destination, je la laisse prendre ses clés pour ouvrir les portes de son domicile. D'ordinaire timide et civilisée, j'attends qu'on me propose d'entrer, j'attends qu'on me dise de me mettre à mon aise, ce genre de chose. Pas cette fois. Je me suis dépêchée de rentrer et j'ai ouvert toutes les portes qui me tombaient sous la main jusqu'à trouver les toilettes. Je vous laisse deviner pourquoi je m'y suis précipitée. Ce n'est ni glorieux, ni charmant, et en plus de ça, je n'ai pas eu l'occasion de refermer la porte derrière moi. M'enfin, même si ça ne fait pas du bien par où ça passe, je me sens malgré tout plus légère.

- Café!

Pitié. Qu'elle ai du café chez elle!

Avec l’aide du cellulaire d’Amélie, l’autre brune les guide jusqu’à l’appartement de l’hybride. Précipitamment, Raegan ouvre la porte de la chambre puis celle de la salle de bain, où se trouvent les toilettes. Bien sûr, elle y entre et vomit dans la cuvette, sans fermer la porte derrière elle. De son côté, Amélie se tient au plan de travail. Elle veut dormir, mais avant, elle voudrait savoir si son invitée préfère s’allonger sur son lit ou le canapé.
Quand l’autre a fini de vomir, elle lui demande tout de suite un café. Cela ennuie un peu la libraire, qui se sent trop fatiguée. Néanmoins, elle prend un sachet de café soluble et l’ouvre pour mettre son contenu dans une petite tasse qu’elle remplit avec l’eau du robinet. Elle aurait pu utiliser la cafetière, mais flemme. Puis elle fait chauffer la tasse au micro-ondes pendant 30 secondes. Enfin, elle la sort, la pose sur le plan de travail, met une cuillère dedans et deux carrés de sucre à côté.
Après avoir préparé le café, elle marche lentement vers le canapé et s’y écroule.